« Peut-on convoquer une autre version de soi-même, pour exprimer ce qu’on ne parvient pas à dire dans sa propre langue ? Un solo en anglais aussi drôle que troublant, qui détourne les codes du stand-up et navigue entre humour et tragédie, pour libérer nos imaginaires face aux chemins tortueux du deuil et de la résilience ».
Sur la scène entièrement vide, une femme s’avance vers nous, carabine à la main : « I am the actress. I guess you are… the audience? », nous lance-t-elle, en mâchant son chewing-gum de façon flegmatique. Elle poursuit, toujours en anglais : « N’ayez pas peur de mon fusil. Je le garde tout le temps avec moi. C’est à cause des loups ». Il n’est pas toujours possible de raconter sa vie dans sa langue maternelle. Surtout quand dans cette vie, à peu près tout, un jour, s’est effondré. Pour essayer de nommer ce qu’elle a sur le cœur, cette actrice qui nous parle a donc décidé de faire un pas de côté, pour laisser place à l’un de ses doubles. Une désopilante version américaine d’elle-même, qui va chercher de nouveaux mots pour faire le récit de son hasardeuse reconstruction intime, tout en s’amusant à brouiller les pistes de sa propre tragédie …
Après le succès de Faire quelque chose. (C'est le faire, non ?), et en attendant sa nouvelle création la saison prochaine, nous avons invité Venedig Meer, compagnie partenaire du Varia, à revenir quelques années en arrière. Douze ans après sa création, l’autrice, actrice et metteuse en scène Florence Minder réinterprète son tout premier spectacle, dans lequel on retrouve la matrice de sa recherche théâtrale, qui questionne notre rapport intime et collectif à la fiction. Ni musique, ni micro, ni vidéo, ni jeux de lumières : dans ce seule-en-scène aussi bouleversant que jubilatoire, elle nous avertit même d’emblée qu’elle évoluera dans un registre physique pour le moins … limité. Un stand-up low-cost désarmant de sincérité, intégralement en anglais sur-titré, au fil duquel son alter ego linguistique retrace ses errements et son désarroi, tentant par tous les moyens de transcender sa propre solitude pour avancer sur les chemins sinueux de la perte.
Sans jamais se départir d’un sens aigu du rythme et de la formule, son personnage nous interpelle sans détour et se joue de nos attentes, face à cette forme d’entertainment qui dérive lentement vers des contrées lointaines. Tout en opérant une forme de distanciation, sa métamorphose langagière lui permet d’explorer une terre inconnue à l’intérieur d’elle-même. Peu à peu, elle réinvestit son corps et ses émotions, pour affronter un deuil dont l’origine restera floue, mais qui ouvre sous ses pas un sentier escarpé dont elle détaille chacune des étapes. Choc, déni, colère, marchandage, dépression, expérimentation, acceptation : naviguant de thérapies infructueuses en obscurs modes d’emploi de développement personnel, elle retrace avec une ironie mordante les différents stades de son périple, au bout duquel elle finira par prendre le large, pour se réinventer. Une énergie d’actrice explosive, au service de ce savoureux mélange des genres entre humour et tragédie, dans lequel Florence Minder confirme une fois de plus son talent pour défendre la fiction comme un terrain de jeu inépuisable, tout autant qu’un espace de survie.