"Sous le Volcan propose une tentative de réparation du collectif"
Rencontre avec Leslie Mannès au sujet de sa nouvelle création "Sous le volcan"
Cinq danseur·euses tentent de répondre aux tremblements du monde, entre ordre et chaos. Dans un mouvement infini, i·els oublient un instant leur individualité pour aller à la rencontre de l’autre. De la singularité des corps à l’unisson du corps choral, i·els reconnectent avec les sentiments d’interdépendance et de solidarité. Comment être à l’écoute ? Comment faire confiance ? Comment se mettre d’accord ? Leslie Mannès nous a éclairé sur les lames de fond qui traversent sa nouvelle création. Une interview menée par Sophie Thomine.
"J’avais envie de proposer un référentiel d’imaginaires qui mette en lumière les principes de coopération"
Parle-nous de ce titre Sous le volcan, qu'implique-t-il ?
J’ai choisi ce titre parce qu’il active l’imaginaire. Il convoque une nature puissante et explosive et peut aussi sous-tendre une charge émotionnelle. Il invite à une interrogation. Qu’y a-t-il sous ce Volcan ? Des éléments en fusion prêts à être déchaînés, des luttes, des combats ? Est-ce une force à contenir ou à laisser libre ? Est-ce le passé qui comme un magma serait toujours prêt à entrer en éruption dans notre présent ? Est-ce une force bien plus profonde et ancestrale qui observerait de ses lointaines profondeurs, les fracas et les violences du monde qui émergent quotidiennement à sa surface ?
Le point de départ de ta réflexion est le constat que nos liens avec les autres et le vivant sont distendus et que nous vivons dans un monde ou crises écologiques, sociales et politiques s'enchaînent. Ton spectacle offre-t-il une piste de réponse à ce monde ? Une invitation à faire ensemble autrement ?
Dans un monde où nous ne pouvons plus nier notre interdépendance, il me semblait crucial d’interroger la question de la collectivité : comment être à l’écoute, comment se mettre d’accord, comment faire ensemble. Loin d’avoir la prétention de pouvoir agir sur les crises écologiques et sociétales en faisant des spectacles, il était pour moi essentiel de placer la relation, le lien et l’empathie au centre des enjeux du spectacle.
Sous le volcan met en scène des communautés à l’ouvrage, des micro-sociétés au travail. J’avais envie de proposer un référentiel d’imaginaires qui mette en lumière les principes de coopération et d’entraide afin d’ouvrir d’autres narratifs que ceux de la compétition, de la victoire et de l’échec.
Je voulais visibiliser celles et ceux qui prennent soin, qui chérissent les vulnérabilités de chacun·e en commençant par les leurs. Je voulais que nous rendions honneur à cell·eux qui travaillent au commun, qui tissent chaque jour les fils d’un tissu social et qui recommenceront sans relâche à chaque nouvelle déchirure.
"Nous avons travaillé autour d’un unisson qui provoque un aller-retour sensoriel entre notre perception des différents individus et notre perception du groupe."
Tu explores dans ton travail l'énergie et la puissance que les moments de rassemblement peuvent avoir sur nos corps et tu questionnes les fonctions de ces pratiques collectives comme les rites et les rituels. Est-ce que Sous le volcan s'inspire de rites et si oui de quelle manière ?
Les rites et rituels insufflent une dynamique de réactivation du lien social, affectif et culturel. Ils créent une rupture dans le quotidien et renversent les codes de ce qui fait société en provoquant un mouvement entre ordre et chaos. Ce sont des moments qui créent des brèches, qui fissurent nos carapaces et laissent sortir des forces puissamment vitales parfois furieuses parfois sensibles.
Dans Sous le volcan, nous travaillons les notions de passage et de basculement d’un état à un autre. Des rituels accompagnent souvent les moments de passage qu’ils soient de l’ordre de la mémoire, de la célébration, du soin... Nous nous inspirons de l’énergie fédératrice de ces rassemblements qui viennent porter et soutenir un changement, une adaptation, une métamorphose.
Les costumes sont aussi de puissants moteurs de transformation qui aident à bouleverser les repères. Avec Marie Artamonoff, la créatrice costume, nous avons tenté de créer des figures qui brouillent les pistes, qui pourraient appartenir aussi bien au passé, au présent qu’au futur afin d’insuffler de nouvelles potentialités et des chemins de transformation inattendus.
Parle-nous de ton travail chorégraphique sur cette création ?
Nous convoquons des références corporelles issues du folklore ou du labeur, de ces moments où les corps s’accordent pour faire émerger ensemble une énergie. Pour cette mise en commun d’énergie, nous avons travaillé autour d’un unisson qui provoque un aller-retour sensoriel entre notre perception des différents individus et notre perception du groupe. Je suis particulièrement touchée par l’unisson car il vient révéler l’intime de chaque personne notamment par la place que chacun.e prend au sein du groupe et comment cette place évolue.
Nous avons travaillé à une approche organique, kinesthésique et émotionnelle du mouvement dans une certaine épure formelle pour toucher à une dimension énergétique brute. J’explore depuis plusieurs années un langage chorégraphique inspiré par des pratiques énergétiques et martiales nourries par un lien aux éléments et à la nature. Dans Sous le volcan, il y a une relation assez forte à la terre, à une percussivité des gestes et des corps portée aussi par la composition musicale de Solène Moulin. Les danseur·euses seront presque toujours en mouvement, en marche dans une métamorphose continue.
Sous le volcan est-elle une ode à l'énergie réparatrice du collectif ?
Nous voudrions dans Sous le volcan pouvoir faire face aux amnésies et aux conséquences de nos traumatismes collectifs et individuels. Dans ce spectacle, nous proposons un cheminement avec plusieurs étapes toutes nécessaires au déploiement d’une transformation. Pour ce faire, il nous faut nous laisser traverser, faillir et tenter de nous relever encore et encore. Ces métamorphoses sont rendues possible par la présence du groupe et elles ne peuvent advenir que tous·tes ensemble dans une communauté des cœurs.
Sous le volcan propose peut-être une tentative de réparation du collectif par la représentation d’êtres qui mettent de côté leur individualité pour s’engager dans l’expérience de « faire ensemble » avec la volonté de se mettre au service du commun et d’en prendre soin.